29
août

Les Druides d’Aujourd’hui…

   Ecrit par : Isaya   in Non classé

awenUne des caractéristiques les plus saisissantes du Druidisme actuel est le degré auquel il est exempt de dogme et d’ensemble fixé de croyance ou de pratiques. De cette façon il parvient à offrir un chemin spirituel et une manière d’être dans le monde qui évite plusieurs des problèmes de l’intolérance et du sectarisme que les religions établies ont rencontrés. Il n’y a aucun ‘ »texte sacré » ou l’équivalent d’une bible dans Druidisme, et il n’existe aucun ensemble de croyance universellement convenu parmi des druides. En dépit de ceci, il y a un certain nombre d’idées et de croyances que la plupart des druides ont en commun, et qui aident à définir la nature du Druidisme aujourd’hui:

La théologie

Puisque le Druidisme est un chemin spirituel – une religion pour certains, une façon de vivre pour d’autres – les druides partagent une croyance dans la nature fondamentalement spirituelle de la vie. Certains favoriseront une manière particulière de comprendre la source de cette nature spirituelle, et peuvent se sentir animistes, panthéistes, polythéistes, monothéistes ou duothéistes. D’autres éviteront de choisir une conception particulière de Dieu, croyant que, par nature, il est inconnaissable par l’esprit. Les druides monothéistes croient qu’il y a une Déité: une Déesse ou un Dieu, ou un être appelé de préférence Esprit ou Grand Esprit, pour éviter des associations fallacieuses sur le genre. Mais d’autres druides sont des duothéistes, croyant que la Déité existe comme un couple de forces ou d’êtres, qu’ils caractérisent souvent en tant que Dieu et Déesse. Les druides polythéistes croient que beaucoup de dieux et déesses existent, alors que les animistes et les panthéistes croient que la Déité n’existe pas en tant qu’un ou plusieurs dieux personnels, mais qu’il est présent dans toute chose, et qu’il est Tout. Qu’ils aient choisi d’adopter un point de vue particulier ou pas, la plus grande caractéristique de la plupart des druides d’aujourd’hui se situe dans leur tolérance envers la diversité: une réunion de druides peut rassembler des personnes qui ont des vues considérablement variables au sujet de Dieu, ou bien aucune, et elles participeront harmonieusement aux cérémonies ensemble, célébreront les saisons, et apprécieront la compagnie des autres ; se rendant compte qu’aucun de nous n’a le monopole de la vérité, et que la diversité est saine et normale. La nature forme un point central si important de leur vénération, et ce quelque soit leur conception de Dieu, que tous les druides considèrent la nature comme divine ou sacrée. Chaque élément de la nature est sentie en tant qu’élément de la grande chaîne de la vie, sans qu’une créature ou un aspect d’elle n’ait de suprématie sur une autre. À la différence des religions anthropocentriques qui croient que l’humanité occupe un rôle central dans le plan Divin, la conception druidique est systémique et holistique, et ne voit l’humanité que comme une partie de la grande famille des êtres vivants.

L’au-delà

Bien que les druides aiment la nature et tirent d’elle l’inspiration et la nourriture spirituelle, ils croient également que le monde que nous voyons n’est pas le seul qui existe. Une pierre angulaire de la croyance des druides est dans l’existence de l’au-delà – un ou des royaumes qui existent au delà de la perception des sens physiques, mais qui sont néanmoins réels. Cet au-delà est le lieu où nous nous rendons quand nous mourons. Mais nous pouvons également visiter ces royaumes pendant notre vie, dans les rêves, dans la méditation, sous hypnose, ou au cours d’un « voyage » dans une transe chamanique. Chaque druide aura son point de vue sur la nature de cet au-delà, mais c’est une croyance universellement acceptée pour trois raisons. Premièrement, tous les religions ou spiritualités soutiennent qu’une autre réalité existe au delà du monde physique, plutôt que d’être en accord avec le matérialisme, qui soutient que seule la matière existe et est vraie. Deuxièmement, la mythologie celtique, qui inspire tellement de Druidisme, est remplie de descriptions de cet au-delà. Troisièmement, l’existence de l’au-delà est implicite chez les druides du passé, depuis que les auteurs classiques ont déclaré que les druides croyaient en un processus qui a été décrit comme étant la réincarnation.

La mort et la renaissance

Tandis qu’un druide chrétien peut croire que l’âme est seulement née une fois sur terre, la plupart des druides adoptent la croyance de leurs anciens que l’âme subit un processus de réincarnations successives – toujours sous forme humaine, ou dans une variété de formes qui pourraient inclure les arbres et même la roche aussi bien que des animaux. Beaucoup de druides partagent l’opinion rapportée par Philostratus de Tyane au deuxième siècle que les Celtes croyaient que pour naître dans ce monde il faut mourir dans l’autre-monde et, réciproquement, quand nous mourons ici, nous naissons dans l’au-delà. Pour cette raison, les rituels funèbres druidiques essayent de se concentrer sur l’idée que l’âme expérimente un moment de naissance, bien que nous vivions cela comme une mort.

Les trois objectifs du druide

Le but du le processus des renaissances successives peut être trouvé si nous regardons les objectifs du druide. Les druides cherchent surtout à développer en eux la sagesse, la créativité et l’amour. Un certain nombre de vies successives sur terre, plutôt qu’une seule, nous donnent la possibilité de développer entièrement ces qualités en nous.

La sagesse

Le but de la sagesse nous est montrée dans deux vieilles légendes : une dans l’histoire de Fionn MacCumhaill (Finn MacCool) d’Irlande, l’autre dans l’histoire de Taliesin du Pays de Galles. Dans les deux histoires la sagesse est recherchée par une personne plus âgée – en Irlande sous forme de saumons de la sagesse, au Pays de Galles sous forme des trois gouttes de l’inspiration. Dans les deux histoires, un jeune assistant fini par goûter la sagesse si jalousement recherchée par les adultes. Ces contes, plutôt que de simplement enseigner les vertus de l’innocence et de la serviabilité, contiennent des instructions pour réaliser la sagesse, codées dans leur symbolisme et la séquence d’évènements qu’ils décrivent, et c’est pour cette raison qu’ils sont employés dans l’enseignement du Druidisme.

La créativité

La créativité est également un élément central du druidisme parce que les bardes ont été longtemps associés aux Druides. Beaucoup pensent que dans les temps anciens ils ont transmis la sagesse des druides à travers les chansons et les histoires, et qu’avec leurs mémoires prodigieuses ils connaissaient les généalogies des tribus et des histoires liées à la contrée. Les cultures celtiques montrent un amour de l’art, de la musique et de la beauté qui évoquent souvent une conscience de l’au-delà, et leurs vieux contes Bardiques dépeignent un monde de beauté sensuelle en lequel les artisans et les artistes sont très honorés. Aujourd’hui, beaucoup de gens sont attirés par le druidisme parce qu’elles sentent que c’est une spiritualité qui peut les aider à développer leur créativité. Plutôt que de se soumettre à l’idée que cette vie physique est provisoire, et que nous devrions nous concentrer sur la vie après la mort, le druidisme véhicule l’idée que nous sommes crées pour participer entièrement à la vie sur terre, et que nous sommes nés pour exprimer et partager notre créativité autant que nous le pouvons.

L’amour

Le druidisme peut être vu en tant qu’accueil du troisième but qui est l’amour. Il nous encourage à élargir notre compréhension et l’expérience de celui-ci, de sorte que nous puissions aimer largement et profondément. Le vénération du druidisme pour la nature nous encourage à aimer le pays, la terre, les étoiles et la vie sauvage. Il encourage également un amour de la paix: Les druides étaient traditionnellement des conciliateurs, et le sont toujours. Les cérémonies druidiques commencent souvent par offrir la paix à chaque direction cardinale, il y a une prière de la paix druidique, et les druides plantent des « bosquets de la paix ». Le sentier druidique encourage également l’amour de la beauté parce qu’il cultive le barde, l’artiste intérieur, et favorise la créativité. L’amour de la justice est développé dans le Druidisme moderne en étant mentionné dans « la prière du druide », et beaucoup croient que les druides antiques étaient des juges et des législateurs, qui étaient plus intéressés par la remontrance que par la justice punitive. Le Druidisme encourage également l’amour de l’histoire et du mythe, et beaucoup de personnes aujourd’hui sont attirés par lui parce qu’elles reconnaissent la puissance du Mythe, et sentent son potentiel de guérison et d’éclairement autant que comme un divertissement. En plus de tous ces types d’amour que le Druidisme stimule, il souligne également la puissance pédagogique du Passé et, ce faisant, encourage l’amour de l’histoire et une vénération pour les ancêtres. L’amour des arbres est fondamental dans le Druidisme aussi, bien qu’étudiant la science des arbres, les druides plantent aujourd’hui des arbres et des bosquets sacrées, et soutiennent des programmes de reboisement. Les druides aiment également les pierres et forment des cercles de pierre, collectent des pierres et travaillent avec les cristaux. Les Druides aiment la vérité, et recherchent celle-ci à travers leur quête de la sagesse et de la Connaissance. Ils aiment les animaux et les voient comme sacrés. Ils aiment le corps et la sexualité, considérant que les deux sont sacrés. Le Druidisme encourage également un amour de l’un pour l’autre en stimulant la magie du rapport et de la communauté, et surtout un amour de la vie, par un encouragement de la célébration et une plein participation à la vie. Ce n’est pas une spiritualité qui essaierai de nous aider à nous échapper d’un engagement actif dans le monde.

Quelques groupes druidiques présentent aujourd’hui leurs enseignements dans trois catégories ou classes: ceux de barde, ovate et druide. Les trois buts cherchés par les druide, à savoir l’amour, la sagesse et l’expression créatrice peuvent être apparentés au travail de ces trois nivaux. Les enseignements de Barde aident à développer notre créativité, les enseignements de l’ovate aident à développer notre amour pour le monde naturel et la communauté de vie, et les enseignements du druide nous aident dans notre quête de la sagesse.

Vivre dans le monde

La vraie valeur d’un chemin spirituel réside dans la capacité qu’il a à nous aider dans notre vie quotidienne. Il doit pouvoir nous fournir l’inspiration, le conseil et l’encouragement pour que nous puissions négocier les difficultés éventuelles ainsi que les événements tragiques qui peuvent se produire au cours de la vie.
La philosophie primordiale du Druidisme est l’amour et le respect envers toute forme de vie – envers les êtres humains, les animaux et toute la nature. Un mot souvent employé par les druides pour décrire cette approche est la vénération, qui élargit le concept du respect pour y inclure une conscience du sacré. Cette vénération envers les êtres humains, par exemple, est exprimée par les druides en traitant le corps, les relations et la sexualité avec respect et comme quelque chose de sacré. Cette vénération ne doit pas être confondue avec de la « bigotterie » ou un manque de vraie foi – la vénération authentique est forte et sensuelle aussi bien que douce et aimable.

Cette attitude de vénération et de respect s’étend à toutes les créatures, et ainsi beaucoup de druides seront végétariens, ou bien mangeront de la viande mais en soutenant l’élevage fermier et en étant opposés à l’élevage industriel. Mais la croyance que nous devrions aimer toutes les créatures est susceptible d’être tempérée par un certain réalisme, qui n’exclura pas la possibilité que nous pourrions vouloir tuer certaines créatures, telles que les moustiques.

Pour beaucoup de druides d’aujourd’hui, la position fondamentale par rapport à l’amour et au respect envers toutes les créatures se prolonge en incluant la doctrine de ne causer aucun mal aux être sensibles. Cette idée est connue dans des traditions orientales comme la doctrine d » Ahimsa ‘, ou de Non-Violence, et a été décrite pour la première fois autour de l’an 800 avant JC dans les Écritures hindoues, les Upanishads. Les Jains, les Hindous et les Bouddhistes enseignent tous cette doctrine, qui est devenue populaire en Occident à la suite des protestations non-violentes du Mahatma Gandhi. Beaucoup de druides adoptent aujourd’hui une position semblable, qui s’abstient de nuire aux autres, et de se focaliser sur l’idée de paix, tirant leur inspiration des mythes classiques qui les ont dépeints les druides comme étant des médiateurs, qui s’abstenaient de participer à la guerre, et qui ont incité à la paix les armées en conflit.

L’enchaînement de la vie et l’illusion de la séparation

Toute la pensée et la pratique druidique est imprégnée de l’idée ou de la croyance que nous sommes tous reliés dans un univers qui est essentiellement bienfaisant – et non pas que nous existons en tant qu’êtres isolés qui doivent combattre pour survivre dans un monde cruel. Au lieu de cela, nous nous voyons en tant qu’élément de la grande chaîne de la vie qui inclut chaque créature vivante et toute la création. C’est une vision essentiellement panthéiste de la vie, qui considère toute la nature comme sacrée et inter-connectée. Les druides éprouvent souvent cette croyance dans leurs corps et dans leurs cœurs plutôt que simplement dans leurs esprits. Ils éprouvent le sentiment d’être de plus en plus chez eux dans le monde – et quand ils marchent dehors sur la terre et regardent vers le haut la lune ou les étoiles, ou sentent dans le vent la pluie qui approche, ils sentent dans chaque fibre de leurs êtres qu’ils sont une partie de la grande famille de la vie, qu’ils sont ‘ à la maison ‘, et qu’ils ne sont pas seuls. Les conséquences de ces sentiment et de ces croyance sont profonds. Indépendamment du fait qu’une attitude de confiance envers la vie apporte des bienfaits sur le plan de la santé psychologique et physique, il y a également des répercussions sur la société. L’abus et la sur-exploitation viennent de l’illusion de la séparation. Une fois que vous croyez que vous faites partie de la grande famille de la vie, et que toutes les choses sont reliées, les valeurs d’amour et de vénération envers la vie en découlent naturellement, de même que la pratique de la paix et de la non-violence.

La loi de la moisson

Liée à l’idée que nous tous sommes reliés dans la Danse de la vie, la croyance partagée par la plupart des druides est que quoi que nous fassions dans le monde crée un effet qui nous affectera finalement en retour. Une semblable idée semblable est véhiculée par beaucoup de traditions et cultures: la sagesse populaire en Grande-Bretagne indique cela autour de ‘ ce qui s’en va reviendra ‘. En Égypte antique, l’idée attribuée à Jésus quand il a dit ‘ ce que vous semez, vous le récolterez ‘ a été énoncée par le dieu Thoth plusieurs siècles avant dans le livre égyptien des morts, quand il a dit que  » la vérité est la faux de la moisson. Ce qui est semé – amour, colère ou amertume, ce sera votre pain. Le maïs n’est pas meilleur que sa graine, laissez ce que vous plantez être bon. » Dans le Bouddhisme et l’Hindouisme, cette l’idée est exprimée comme la doctrine de cause à d’effet (karma).

Ces deux croyances – que tout est relié et que nous récolterons les conséquences de nos actions – sont venues naturellement aux druides parce qu’ils représentent les idées qui se développent par une observation du monde naturel. Tout comme le sentiment d’appartenir à la grande chaîne de la vie peut nous venir lorsque que nous regardons avec admiration la beauté de la nature, la conscience que nous récolterons les conséquences de nos actions peut également nous venir lorsque nous observons les processus d’ensemencement et de moisson.

L’AWEN, L’ESPRIT SACRE DU DRUIDISME

La plupart des druides contemporains chantent l’Awen au cours de leurs cérémonies de groupe et, parfois, lors de leur pratique individuelle. Nous allons donc essayer de définir plus précisement en quoi consiste l’Awen, cet « Esprit sacré du Druidisme ».

La recherche de l’Awen est une recherche de l’esprit du Druidisme lui-même, et, en tant que telle, elle rassemble beaucoup de chemins. Nous pouvons poursuivre cette recherche comme historien, linguiste,  poète, philosophe, prêtre, magicien, shaman, ou de beaucoup d’autres manières. Chacune d’entre-elles nous aide à acquérir la compréhension de l’Awen et, pendant que nous marchons sur le chemin du Druide, une des choses que nous découvrons est celle de la force qui réside dans la compréhension.

La première référence à l’Awen est mentionnée dans  «Historia Brittonum», un texte latin de Nennius de Circa datant de 796, et basé sur des écritures antérieures du moine Gallois, Gildas. Après s’être rapporté au Roi Ida de Northumbrie,  qui a régné de 547 à 559, Nennius dit ceci:

« alors Talhearn Tad Awen a gagné son renom dans la  poésie.»

Tad signifie le «père», ainsi Talhearn est le père de l’Awen. Ceci ne nous indique pas grand chose au sujet de ce qu’est l’Awen. Mais, si nous acceptons Nennius comme étant une source fiable, il prouve que l’Awen a existé comme concept à un moment où l’empereur Cerbaill de  Diarmait régnait toujours en tant que dernier grand roi païen de  l’Irlande, et seulement un siècle après que St-Patrick eût converti l’Irlande au christianisme. Les derniers haut-lieux païens étaient tombés dans l’oubli depuis deux ou trois générations; Saint-Colomban, lui-même arrière petit-fils d’un haut roi païen, avait déjà fondé son monastère à Iona d’où il partit convertir les Pictes païens ; et la mission de St-Augustin vers les Angles  païen ne partirait pas avant une cinquantaine d’années. Notre  première référence à l’Awen date donc d’une période où la Grande-Bretagne et l’Irlande étaient toujours dans la transition du paganisme au christianisme. Ceci, avec l’autre évidence présentée ci-dessous, montre que l’Awen a été un concept importé du Druidisme païen vers la tradition bardique chrétienne.

Pour découvrir ce qu’est l’Awen, nous devrions d’abord étudier ce que signifie ce mot. Le nom féminin Awen a été traduit de différentes façons, en tant qu’«inspiration», «MUSE», «génies», ou même «frénésie poétique». Le mot lui-même est constitué de la combinaison des deux mots, aw  signifiant «un fluide, couler»,  et l’en  signifiant «un principe vivant, un être,  un esprit essentiel». Ainsi l’Awen peut être décrit littéralement en tant qu’«essence fluide», ou «esprit débordant». L’étape suivante de notre recherche nous amène aux travaux de sauvegarde réalisés par les bardes de la Grande-Bretagne médiévale, qui étaient les héritiers, ainsi que le moyen de transmission, des restes de la tradition du druidisme païen.

Les quatre prétendus livres antiques du Pays de Galles, le Livre blanc de Rhydderch, le Livre rouge de Hergest, le livre noir de Caermarthen et, particulièrement, le Livre de Taliesin datant du 13ème siècle, contiennent un certain nombre de poésies qui se rapportent à l’Awen. Ces vers sont considérablement étalés dans le temps. Certains peuvent être aussi vieux que l’époque du Cynfeirdd, ou les «Premiers bardes» qui furent rédigés au 6ème siècle, alors que  d’autres sont beaucoup plus tardifs, composés peu avant la compilation des manuscrits dans lesquels on les trouve. La poésie la  plus ancienne consiste en grande partie en éloges aux héros morts. Elle contient peu d’allusions à la religion  en tant que telle, mais, dans  toute la majeure partie de la période en question, les bardes  étaient, de leur propre aveu, chrétiens. Ceci doit être pris en considération quand nous recherchons des références à la tradition païenne dans leurs travaux.  En cherchant à établir la compréhension que les bardes médiévaux avaient de l’Awen, nous sommes limités par le fait que leur mode poétique est souvent énigmatique et allusif. Ils n’ont eu aucun  besoin d’expliquer ce que signifiait l’Awen pour eux; ils le savaient déjà assez bien, et ils étaient évidemment heureux pour ceux qui sont étrangers à l’art poétique, qu’ils fassent de lui ce qu’ils pourraient. Il y a, cependant, des indices à trouver dans leurs écritures. Le poète du 12° siècle, Llywarch AP Llywelyn (c.1173-1220),  également connu par son nom de barde, Prydydd y Moch, le « poète des porcs » dit:

« le seigneur Dieu me donnera l’Awen, doux comme du chaudron  de Cerridwen. »

Cerridwen et Taliesin: la déesse et le barde

Ici, bien que le barde identifie l’Awen comme un cadeau de Dieu, il déclare qu’il est donné « comme du chaudron de Cerridwen ». Qui est alors Cerridwen? Ailleurs, Prydydd y Moch se rapporte à elle comme « souveraine des bardes (bardoni rvyf) », un titre qui lui est accrédité par plusieurs autres poètes. Notre source unique d’informations la plus complète sur elle vient d’un conte en prose tardif  appelé « Chwedl [l'histoire de] Taliesin » . Un barde «historique» appelé Taliesin, a été identifié comme ayant vécu vers la fin du 6ème siècle, bien que, des 77 poésies qui nous sont parvenues et qui lui sont attribuées, y compris ceux qui composent le Livre de Taliesin, la plupart furent composés bien plus tard. La version la plus récente du Livre de Taliesin, fut trouvée dans un manuscrit du XVI° siècle et contient de toute évidence un matériau beaucoup plus ancien puisqu’il se  rapporte à des thèmes trouvés dans des poèmes antérieurs au 9ème  siècle.

Dans ce récit, il est dit que Cerridwen demeure au milieu du lac Bala dans le pays de Powys, avec son mari, Tegid Moel (le «beau chauve»). Ils ont trois enfants: Morfran («Cormorant»); Creirwy («oeuf en cristal»),  le plus beau au monde; et Afagddu («obscurités totales»),  l’homme le plus laid. Pour consoler Afagddu de sa laideur, Cerridwen décide de lui accorder la « Connaissance de toutes choses »  en lui préparant un breuvage dans le chaudron magique de l’inspiration (c.-à-d. l’Awen), selon les arts que possédaient les Fferyllt («alchimistes, ou ouvriers métallurgistes»). Le chaudron doit cuire pendant un an et un jour et, pour cela, Cerridwen charge deux personnes de le surveiller lorsqu’elle sort cueillir des herbes. Il s’agit d’un homme aveugle appelé Morda (« bonne mer» ou «grande bonté»), et un enfant appelé  Gwion Bach («petit innocent»). Le dernier jour, trois gouttes du liquide sautèrent hors du chaudron et brulèrent le doigt de Gwion. Par reflexe, il le met dans sa bouche et reçoit instantanément trois dons qui sont l’inspiration poétique, le don de prophétie et le pouvoir de changer de forme.  Malheureusement, le reste du breuvage se transforma en un poison mortel et le chaudron se brisa en plusieurs morceaux. Avec son don de prophétie, Gwion sut que Cerridwen essayera de le tuer pour avoir pris la potion réservée à son fils, aussi il utilisa son pouvoir de transformation pour s’enfuir sous la forme d’un lièvre. Cerridwen  le poursuit sous forme d’une levrette; il se transforma alors en poisson. Cerridwen transforme en loutre. Il devient un oiseau; elle se transforme alors en faucon. Il devient un grain de blé et se cache sur une aire de battage, mais Cerridwen devient une poule noire et l’avale.

«La confédération hostile», une poésie du Livre de Taliesin se rapporte à la présente partie du conte comme suit:

 » une poule m’a reçu,
Avec les griffes rouges, [ et ] sa crête ciselée.
J’ai reposé neuf nuits
Enfant dans son utérus,
J’ai été mûr,
J’ai été une offrande avant le protecteur,
J’ai été mort, j’ai été vivant…..
De nouveau avisée de me chérir
Avec les griffes vermeilles; de ce qu’elle m’a donné
À peine peut-il être raconté;
Grandement il sera loué. »

Après neuf mois, Gwion renaît de l’utérus de Cerridwen qui ne peut se résoudre à le tuer «en raison de sa grande beauté». Aussi, elle l’attache dans un sac en cuir et le jette dans la mer la veille de Beltan. Au matin de Beltan, le sac échoue dans un déversoir à saumon et il en est retiré par Elphin, fils de Gwyddno Garanhir. Il ouvre le sac et, en voyant le beau bébé, s’écrie :  «Regardez! un front radieux!». Et c’est ainsi que l’enfant prend le nom de Taliesin, ce qui, en Gallois, signifie «le front radieux». Taliesin, bien qu’encore bébé, peut immédiatement composer des vers parfaitement improvisés grâce à l’Awen qu’il a reçu du chaudron de Cerridwen. Il continua ainsi jusqu’à atteindre une grande renommée et à devenir le plus grand barde de Grande-Bretagne.

Ce conte met en parallèle beaucoup d’autres dans la littérature bardique et le folklore britannique et irlandais, où un individu reçoit comme cadeaux, la sagesse, la puissance, ou bien l’inspiration poétique des femmes de l’Autre-monde, le Sidhe. Le rôle de Cerridwen dans cette  histoire, associé aux références qui sont faites à elle dans la poésie bardique, ont mené la plupart des commentateurs à conclure qu’elle est une  déesse païenne. Son nom signifie «la femme courbée», ou «la blanche courbée», suggérant une association avec le croissant de lune.

Le chaudron de l’inspiration

Il est tentant d’interpréter l’histoire entière comme étant un manuel d’instruction pour l’initiation bardique. Gwion rencontre trois réceptacles de transformation: l’utérus, le chaudron et le sac en  cuir dont il émerge finalement comme Taliesin. Il rencontre chacun par les actions de Cerridwen, qui agit à chaque fois en tant qu’initiatrice.  Nous pourrions spéculer plus loin en admettant que les trois réceptacles représentent des initiations successives dans les trois « grades » de barde, ovate, et druide: la boisson du chaudron ouvre l’esprit du barde au don de l’Awen; le séjour dans l’utérus de la  déesse donne la sagesse de l’ovate pour le comprendre; l’épreuve d’être jeté à la mer dans un sac en cuir (peut-être un coracle?)  permet au druide de vaincre la crainte finale: la crainte de la  mort.

Les dons accordés à Taliesin par les gouttes magiques jaillies du chaudron peuvent également être associées aux  trois « grades »: l’inspiration poétique pour les Bardes; le don de prophétie pour les Ovates; la faculté de transformation pour les Druides. Il est également tentant d’envisager le chaudron de l’inspiration comme pouvant contenir un certain breuvage enivrant. À l’appui de ceci, il y a diverses références à l’hydromel dans les poésies de Taliesin, notamment « Le trône de Taliesin », qui se rapporte à divers aspects du procédé de brassage, aussi bien qu’à une variété d’herbes, et qui se termine par ces lignes:

« Le rayonnement imprègne le brasseur,
Au-dessus du chaudron aux cinq arbres,
Et le fluide d’une rivière,
Et la propagation de la chaleur,
Et miel et trèfle,
Et le suprême hydromel enivrant,
Comme métal pour un seigneur de la guerre,
Le cadeau des druides. »

Les traditions de l’Europe du Nord contiennent beaucoup d’exemples de cadeaux spirituels ou magiques conférés en buvant de l’hydromel. Le Dieu nordique Odin boit l’hydromel magique, Kvasir, d’un chaudron  appelé Odhroerir, «inspiration», après avoir séduit la fille du géant et qui en est le gardien. La mythologie irlandaise nous le présente même avec une déesse, Meadhbh, dont le nom est identique à celui de la  boisson. Nous devons cependant avoir à l’esprit que nos ancêtres avaient un rapport très différent à l’alcool; la bière et l’hydromel étaient leurs boissons alimentaires de base étant donné que le procédé de brassage tuait les bactéries qui infectaient les provisions d’eau. Néanmoins, il est plus probable que les bardes aient employé le fait de boire à partir du chaudron de Cerridwen comme une métaphore pour recevoir  l’inspiration poétique.

Cerridwen et son chaudron sont mentionnés dans un certain nombre de  poésies, y compris une du Livre de Taliesin, d’où sont extraites les lignes suivantes:

 » Mon trône ne doit-il pas être préservé du chaudron de Cerridwen?
Que ma langue soit libre dans le sanctuaire de l’éloge de Gogyrwen.
L’éloge de Gogyrwen est une oblation qui les a satisfaites
Avec du lait, et la rosée, et les glands. »

Il y a une incertitude totale quand à la signification du mot Gogyrwen, ou d’Ogyrwen. Iolo Morganwg l’a identifié au symbole des trois rayons de Lumière / | \ que lui et d’autres identifient également comme un symbole de l’Awen. Le Dictionnaire de Gallois de Pughe définit Gogyrwen comme un «Etre spirituel» ou une «idée personnifiée». W. F. Skene  prétend que c’est un synonyme pour désigner la déesse Cerridwen. Plus  récemment, John Matthews a proposé que ce pourrait être un titre appliqué aux déesses en général, et à Cerridwen en particulier. Une référence dans «La Confédération hostile» cite «Les sept points des Ogyrwens dans l’Awen», cela indique certainement que le terme pourrait être employé au pluriel. Sa signification peut être interprétée comme «La jeune blonde», un titre qui n’est pas déraisonnable pour une déesse pour qui souhaite être en bons termes avec elle. Des lignes ci-dessus, il semble que Gogyrwen peut être apaisée avec des offrandes de «lait, de rosée, et de glands»,  toutes ces offrandes sont associées aux peuple du monde féerique.

Une autre poésie de Taliesin, Le trône du souverain, se rapporte au :

 » La hauteur d’où est venu le Sage du Chaudron.
Ogyrwen des trois Awens. »

Le «Sage du Chaudron» est vraisemblablement Cerridwen. Une poésie attribuée au barde Cuhelyn commence ainsi;

 » selon la digne ode de Cerridwen,
l’Ogyrwen de la graine mélangée,
La graine mélangée de la poésie,
parle aux cieux étendus enfermant  la beauté. »

La référence à «trois Awens» et à l’«ode de Cerridwen»  rappellent que le mot Awen chanté trois fois est une des  méthodes utilisées aujourd’hui par quelques groupes druidiques pour ouvrir  l’esprit individuel à l’esprit de la déesse comme source d’inspiration. Le chant prend la forme d’un long, grave et vibrant mantra, semblable à l’Om hindou, ou à Aum. Il est certain que l’Awen a été chanté ou entonné dans le passé, comme c’est mentionné dans un certain nombre de poésies médiévales, y compris la «La Confédération hostile», où le barde dit:

 » l’Awen que je chante,
Du plus profond je l’apporte,
C’est un fleuve quand il coule,
Je sais son ampleur;
Je sais quand il disparaît;
Je sais quand il remplit;
Je sais quand il déborde;
Je sais quand il se rétrécit;
Je sais quel fond
Il y a sous la mer. »

L’Awen, «l’esprit débordant», est désigné ici sous le nom d’un fleuve, apparemment tiré de la mer par le chant du poète. La «mer» peut être prise comme référence à l’esprit universel qui englobe tout, le «fleuve» étant une partie de celui-ci que le barde attire en lui par son invocation.

La cellule de chant

L’Awen peut donc être obtenu en buvant dans le chaudron de la Déesse, en chantant ou en psalmodiant. D’autres références, bien que beaucoup  plus tardives, nous donnent d’autres manières d’obtenir l’Awen ou l’inspiration. Les Mémoires du Marquis de Clanricarde,  édité en 1722, contiennent le récit d’une école de Bardes en Irlande, qui nous dit ceci:

 » il était nécessaire que l’endroit soit un recoin solitaire d’un jardin ou bien un enclos hors de portée de tout bruit… La structure était une hutte confortable et basse, avec des lits raisonnablement espacés, chacun dans une petite pièce sans mobilier d’aucune sorte; hormis seulement une table, quelques sièges, et un vestiaire pour y suspendre les vêtements. Aucunes  fenêtres qui laisse entrer le  jour, ni aucune lumière utilisée, seulement des bougies, ces dernières étant apportées seulement à la saison appropriée… Les professeurs ont donné un sujet approprié à la capacité de chaque classe, déterminant le nombre de rimes, et dégageant ce qui devait être principalement observé quant aux syllabes, au Quatrains, à l’accord, à la correspondance, à l’arrêt et à l’union, dont chacune était soumise à des règles particulières. Le dit sujet ayant été donné de nuit, chacun travailla à part, tout seul sur son propre lit, la totalité du jour suivant dans l’obscurité, jusqu’à ce qu’à une certaine heure de la nuit, des lumières leur soient apportées. Ils commencèrent alors à écrire. Après s’être habillés, ils vinrent ensemble dans une grande salle, où les maîtres les ont attendus. Chaque  disciple a ensuite présenté son travail qui fût corrigé ou approuvé… Les nouveaux sujets ont été donnés pour le jour suivant… La raison d’imposer l’étude dans l’obscurité devait sans aucun doute éviter la distraction que pouvaient occasionner la lumière et la variété des objets. Ceci étant empêché, les facultés de l’âme peuvent se focaliser seulement sur le sujet mis à disposition de l’élève et sur le thème donné; de sorte qu’il a été bientôt porté à la perfection selon les notions ou les capacités des étudiants. »

Les conditions décrites ici sont clairement une forme de ce que nous appellerions aujourd’hui, la privation sensorielle. Les recherches du Dr. John Lilly (du centre du cyclone de Grenade, en 1973) et d’autres ont montré que cette technique peut provoquer des expériences de vision extrêmement vives. Un nommé Martin Martin fournit un compte-rendu d’une pratique semblable en usage parmi des bardes dans les îles occidentales de l’Ecosse vers la fin du 17ème siècle:

 » Ils [les bardes] ferment leurs portes et fenêtres pendant un jour entier, et sont allongés sur leurs dos avec une pierre sur leur ventre, et un plaid autour de leurs têtes. Leurs yeux étant recouverts, ils sollicitent leurs cerveaux pour la rhétorique et la panégyrie; et en effet ils fournissent une telle matière de cette cellule sombre que cela est compris par très peu de gens… « 

Peut-être que la pierre décrite ici est le Glain du légendaire Naddair, ou « pierre de vipère », pierre que l’on dit avoir été créée par des cercles de serpents ayant copulés à la veille du solstice d’été, et d’être douée de propriétés protectrices et curatives. Philip Carr-Gomm (Le Chemin du Druide) a récemment suggéré qu’une pierre légèrement plus lourde aurait été employée afin de créer «une entrée sensorielle prédominante afin de bloquer toutes les autres». La remarque de Martin au sujet du procédé de composition produit par cette technique comme étant compris par «très peu de monde» décrit certainement assez bien le style allusif et mystique des bardes Gallois médiévaux. Il n’y a aucune référence explicite à une telle technique qui ait été employée dans les universités bardiques du Pays de Galles, bien qu’il y ait des allusions qui laissent entendre cela, comme dans les lignes suivantes tirées d’une poésie de Iolo Goch:

 » l’île foncée, la cellule de la chanson,
Qui était appelée Anglesey à la nuque verte. »

De semblables techniques d’induction visionnaire étaient communes dans la Grèce classique, où beaucoup de lieux saints consacrés aux oracles possédaient un sanctum intérieur dans lequel les prêtresses, les prêtres, ou les visiteurs s’adonnaient au sommeil afin de recevoir au moyen des rêves, des instruction en vue d’une guérison ou une vision inspirante. Une technique semblable semble être passé dans la pratique chrétienne en Irlande sous la forme du « Purgatoire de St-Patrick », une caverne située sur une île de Lough Derg dans le comté de Donegan, caverne dans laquelle les pèlerins passaient un jour et une nuit à éprouver au travers de visions «les douleurs et les peines des hommes mauvais, et les joies et le bonheur des hommes bons». Le folklore local a perpétué l’idée que Lough Derg était le dernier bastion du Druidisme en Irlande. On dit que le missionnaire irlandais du 6ème siècle, saint-Columba, passa trois jours et trois nuits seul dans une maison obscurcie, temps pendant lequel l’esprit saint lui a donné le pouvoir de voir « beaucoup de choses secrètes qui ont été  cachées depuis que le monde a commencé ».

Une technique apparentée, qui a survécu dans la mémoire folklorique jusqu’au 19ème siècle en Ecosse, consistait à être étroitement emballé pendant un jour et une nuit dans la peau d’un taureau et posé près d’une rivière ou d’une chute d’eau. La peau du taureau restreignait les possibilités de mouvement et aidait à maintenir la température du corps, tandis que le bruit de l’eau courante fournissait le bloc sensoriel. C’est la réminiscence d’un incident raconté dans le « Rêve de Rhonabwy »‘, une histoire appartenant à la collection de contes folkloriques médiévaux du pays de Galles, et des légendes connues sous le nom de  Mabinogion. Dans ce conte, le héros entre dans une salle étrange, dont l’unique habitant est une vieille bique édentée («une femme courbée»). Il tombe endormi trois jours et trois nuits sur un tapis en cuir de bœuf jaune, et pendant lesquels il fait un éclatant rêve divinatoire.

Le folklore entourant certaines chambres funéraires des mégalithes du pays de Galles raconte que passer la nuit à l’intérieur de l’un d’eux peut rendre fou ou bien faire de vous un poète inspiré (certains pensent qu’il n’y a pas de différence). La tradition littéraire irlandaise contient beaucoup d’histoires de personnes dormant sur les monticules funéraires préhistoriques, désignées sous le nom de monticule du Sidhe ou « aux fées », et qui reçoivent la visite des femmes de l’Autre-Monde, qui leur accordent l’inspiration poétique ou la sagesse. Il est possible que de tels contes soient un lointain écho des rites effectués par les constructeurs de ces tombeaux, il y a probablement 5000 ans, car l’archéologie a prouvé que leur utilisation était autant rituelle que funéraire. Les chambres en pierre massives recouvertes de monticules de terre auraient certainement été efficaces dans la privation sensorielle de la vue et de l’ouïe. L’archéologie et la tradition suggèrent que ces monticules antiques aient été des endroits où les vivants pouvaient entrer en contact avec l’esprit des Ancêtres pour acquérir la puissance, la sagesse, ou l’inspiration. Peut-être que les bardes d’Irlande de Grande-Bretagne du 17°siècle, couchés dans leurs cellules obscures, perpétuaient un  rite dont les origines remontent aux prêtres-magiciens de la  période néolithique.

Une Vision Bardique

On donne un exposé extraordinaire de la descente de l’Awen sous la forme d’un faucon dans une lettre écrite à l’historien du 17ème siècle, John Aubrey, par le poète gallois, henry Vaughan (1621-1695), qui écrit:

 » Quant aux bardes plus tardifs, qui n’étaient pas de tels hommes, mais qui avaient une société et quelques règles et ordres parmi eux-mêmes, et plusieurs sortes de mesures et d’un genre de poésie  lyrique, qui sont toutes présentées exactement dans l’étude de John David Rhees, ou son traité de grammaire britannique et galloise, vous  aurez  là, à la toute fin de son livre, un conte des plus curieux qui soit. Cette veine de la poésie qu’ils appellent Awen, qui dans leur langage signifie autant une extase, ou une fureur poétique; et en vérité tous ceux avec qui j’ai conversé disent qu’ils reçoivent, en quelque sorte, un don ou bien sont inspirés par lui. Une personne très sobre et très savante, aujourd’hui décédée,  m’a raconté qu’à son époque il y avait un gamin orphelin de père et de mère, et  tellement pauvre qu’il a été obligé de mendier; mais qui fut recueilli par un homme riche qui possédait un grand troupeau de moutons dans les montagnes non loin d’ici, qui l’a vêtu et l’a envoyé dans les montagnes pour garder ses moutons. Là pendant l’été, alors qu’il veillait sur les brebis et leurs agneaux, il tomba dans un profond sommeil au cours duquel il fit un rêve. Il vit un beau jeune homme avec une couronne de feuilles vertes sur sa tête et un faucon sur son poing. Il avait un  carquois plein des flèches dans son dos. Il vint vers lui en sifflant tout le long, différents airs, puis il laissa le faucon voler à lui. Il rêva que le faucon entrait dans sa bouche. Il s’éveilla soudain rempli d’effroi et de consternation, mais possédé d’un tel esprit, d’un don de poésie, qu’il laissa les moutons et s’en alla à travers tout le pays, créant des poèmes et des chants à chaque occasion, tellement qu’il devint le Barde le plus célèbre de son temps. »

Ce conte est extrêmement typique de la quête de l’Esprit ou de la recherche de la vision, ou du voyage ayant pour but d’obtenir la Puissance; quête entreprise par des chamans et des femmes dans de nombreuses cultures. Une telle quête implique fréquemment des voyages dans des montagnes, ou bien des régions sauvages et désertiques, où on fait l’expérience de rêves initiatiques aussi bien que la rencontre avec  de puissants animaux, ou encore l’aide de guides spirituels qui apparaissent sous une forme animale. Certains, comme le faucon de Vaughan, pénètrent parfois dans le corps du shaman. Le faucon était, naturellement, une des forme endossée par Cerridwen lors de sa poursuite de Taliesin, mais qu’en est-il du «beau jeune homme avec une couronne de feuilles vertes sur sa tête»? Peut-être est-il quelque verdoyant Dieu de l’été; peut-être est-il Taliesin.

L’inspiration divine apparaissant sous forme d’un oiseau n’est pas un thème rare dans le paganisme européen. Un haut lieu prophétique à Dodone, en Grèce, a été fondé après que le Dieu Zeus ait parlé sous forme d’une colombe dans les branches d’un chêne. Les prêtresses qui, dans ce haut lieu, interprétaient la voix du Dieu d’après le bruissement des feuilles des chênes sacrés, étaient connues sous le nom de «Colombes».

Le génie poétique de Taliesin, obtenu à partir du chaudron de la Déesse, a été tenu en grand respect par des générations de bardes, qui, pendant plusieurs siècles, ont continué à lui attribuer la poésie et à le considérer comme un maître prépondérant dans leur art.

La poésie prophétique de l’Awenyddion

Le deuxième cadeau du chaudron de Cerridwen est le don de prophétie. La prophétie, obtenue au moyen de l’Awen comme elle était pratiquée par un groupe de spécialiste de la divination, est décrite par Giraldus Cambrensis dans sa Description du Pays de Galles écrite vers la fin du 12ème siècle. Giraldus indique ceci:

 » Parmi les Gallois il y a certains individus appelés Awenyddion qui se comportent comme s’ils étaient possédés… Quand vous les consultez au sujet d’un certain problème, ils entrent  immédiatement dans une transe et perdent le contrôle de leurs sens…  Ils ne leur répondent pas la question posée d’une manière logique. Les mots coulent de leurs bouches, incohérent et apparemment sans signification, et manquant totalement de sens, mais le tout bien exprimé; et si vous écoutez soigneusement ce qu’ils vous disent, vous recevrez la solution à votre problème. Quand tout est terminé, ils sortent de leur transe, comme s’ils étaient des gens ordinaires se réveillant d’un lourd sommeil, mais vous devrez les secouer avant qu’ils ne retrouvent le contrôle d’eux-mêmes… et quand ils retrouvent leurs sens ils ne se rappellent rien de ce qu’ils ont dit dans l’intervalle… Ils  semblent recevoir ce don de divination par les visions qu’ils ont dans leurs rêves. Certains d’entre eux ont l’impression que du miel ou du lait sucré est étalé sur leur bouche; d’autres disent qu’une feuille de papier avec des mots écrits dessus était serrée contre leurs lèvres. Après être sortis de leur transe et s’être rétabli de l’expérience de la prophétie, ce qu’ils ont annoncé s’est produit…

 » de la même manière, à un moment où le royaume de Grande-Bretagne existait toujours, les dieux Merlin, Caledonius et Ambrosius, ont prévu chacun sa destruction, et qui viendrait d’abord des  Saxons, puis des Normands…

 » Et si vous demandez… par quelle procédé surnaturel de telles prophéties sont possibles, je dirais pas nécessairement par de la sorcellerie ou par l’intervention d’esprits mauvais. Il est vrai que la connaissance de ce qui Est est la propriété de Dieu seul, parce que Lui seul peut prédire le futur par son omniscience librement exercée d’en haut…

 » il n’est pas étonnant… que ceux qui reçoivent soudainement l’esprit de Dieu comme un signe de la Grace leur descendant dessus; semblent avoir perdu la raison pendant un certain temps »

Les deux paragraphes finaux nous rappellent que Giraldus était un Gallois et un ecclésiastique chrétien, par conséquent il ne peut être soupçonné d’accuser ses compatriotes de commercer avec des «esprits mauvais», mais il assimile le don de l’Awen qui inspire les transes de ces médiums à «l’esprit de Dieu». Il apparaît d’après la description de Giraldus, que les Awenyddion pouvaient entrer en état de transe prophétiques à volonté, sans l’utilisation de tambours rythmiques, de chant, de danse, ou l’usage de plantes psycho-actives auxquelles avaient recours d’autres traditions. Des prophètes inspirés comme ceux décrits par Giraldus ont été largement connus dans tout le monde païen Greco-Romain. Leurs prophéties étaient habituellement délivrés sous forme poétique, parfois travaillées par des bardes professionnels et réservées aux lieux saints dans un but d’oracle. Les prophètes pouvaient être aussi bien masculins que féminins. En Grèce, les femmes ont été fréquemment considérées comme recevant leur inspiration du Dieu Apollon, les hommes des Muses, qui étaient les servantes d’Apollon.

Les dons prophétiques de Taliesin sont célébrés dans un certain nombre de poésies, où il énumère des événements depuis la Création, et prévoit le destin des Anglais jusqu’ à la fin des temps, comme dans les Quatre piliers de la chanson, où il chante la conquête de la Grande-Bretagne par les Saxons:

« OH! quelle misère,
A travers de grands malheurs,
La prophétie montrera
Sur la course de Troia.
Un serpent lovant
Fier et impitoyable,
Sur ses ailes d’or,
D’Allemagne.
Elle débordera
L’Angleterre et l’Ecosse,
Du bord de la mer de Lychlyn
Au Severn.
Alors les Britanniques
Serons traités comme des prisonniers,
Sous l’emprise des Saxons.
Leur seigneur qu’ils féliciteront,
Leur discours qu’ils garderont,
Leur terre qu’ils perdront,
Excepté la sauvage Walia. »

Ceci nous rappelle que la connaissance du futur est à la fois un cadeau et un fardeau, parce que le futur contient à la fois joie et douleur. Avec la connaissance du futur, le don de l’Awen apporte également la mémoire du passé, et Taliesin prétend non seulement avoir la connaissance des événements passés, mais avoir été également présent à eux, comme dans les vers suivant dans lesquels il se souvient des événements de la bible, de l’antiquité classique, et des mythes et légendes  britanniques:

 » Je suis le premier chef des Bardes d’Elffin,
Et mon pays d’origine était la région des étoiles d’été;
Idno et Henin m’ont appelé Myrddin,
Enfin, chaque roi m’appela Taliesin.
J’étais avec mon seigneur dans les plus hautes sphères,
Lors de la chute de Lucifer dans les profondeurs de l’enfer;
J’ai soutenu une bannière devant Alexandre;
Je connais les noms des étoiles du nord au sud;
J’ai été dans la galaxie près du  trône du Créateur;
J’étais dans Canaan quand Absalom a été massacré;
J’ai transporté l’esprit divin dans la Vallée d’Hebron;
J’étais dans le palais de Don avant la naissance de Gwydion;
J’étais l’instructeur d’Eli et d’Enoch;
J’ai été emmené dans les airs par le génie de la splendide crosse;
J’ai été loquace avant être doué pour la parole;
J’étais à l’endroit de la crucifixion du fils miséricordieux de Dieu;
J’ai été trois périodes dans la prison d’Arianrhod;
J’ai été directeur en chef du travail de la tour de Nimrod;
Je suis une merveille dont les origines ne sont pas connues;
J’ai été en Asie avec Noé dans l’Arche,
J’ai vu la destruction de Sodome et de Gomorrhe;
J’ai été en Inde quand Rome fût construite,
Je suis maintenant venu ici sur les vestiges de Troyes;
J’ai été avec mon Seigneur dans la mangeoire de l’âne;
J’ai fortifié Moïse dans les eaux du Jourdain;
J’ai été au firmament avec Marie-Madelaine ;
J’ai reçu l’Awen du chaudron de Cerridwen;
J’ai été barde harpiste à Lleon de Lochlin;
J’ai été sur la colline blanche, à la cour de Cynfelyn,
Pendant un an et un jour j’ai été dans au pilori et aux fers,
J’ai souffert la faim pour le fils de la Vierge,
J’ai été accueilli dans le pays de la Déité,
J’ai été professeur pour toutes les intelligences,
Je puis instruire l’univers entier;
Je serai jusqu’ au jour du malheur sur la face de la terre,
Et on ne sait pas si mon corps est de chair ou poisson.
Alors j’étais pendant neuf mois
Dans l’utérus de Cerridwen;
J’étais à l’origine le petit Gwion,
Finalement je suis devenu Taliesin. »

Cette poésie peut être lue comme série d’incarnations par lesquels le poète est passé. Une telle lecture rappelle un commentaire de Jules Caesar:

 » La doctrine cardinale que [les druides] cherchent à enseigner est que les âmes ne meurent pas, mais qu’après la mort, elle passe d’un corps à l’autre. »

 » J’ai été dans beaucoup forme « 

D’autres poésies rappellent des transformations non-humaines, comme dans le plus célèbre de tous les écrits  attribués à Taliesin;  le Cad Goddeu,  Le combat des arbres, où le  barde dit:

 » J’ai été dans beaucoup forme
Avant que j’aie pris ce corps;
J’ai été une épée, fine, bigarée;
Je le crois, puisque c’est évident,
J’ai été une larme dans les airs,
J’ai été la plus sombre des  étoiles,
J’ai été un mot parmi des  lettres,
J’ai été un livre aux origines,
J’ai été la lumière des lanternes,
Une année et demie,
J’ai été un pont continu.
Au-dessus de trois estuaires profonds,
J’ai été un chemin, j’ai été un aigle,
J’ai été un coracle sur les mers,
J’ai été un compagnon accommodant au banquet,
J’ai été goutte de pluie dans une averse,
J’ai été une épée dans la poignée de la main,
J’ai été un bouclier dans la bataille,
J’ai été une corde de harpe,
Je me suis changé pendant neuf ans,
En eau, en écume,
J’ai été éponge dans le feu,
J’ai été bois dans un fourré.
Je ne suis pas celui qui ne chantera pas le combat,
Bien que je sois petit;
Beauté dans la bataille de la cime des arbres
Contre le pays de Prydein. »

Alwyn et Brinley Rees (l’héritage celtique p.230) ont précisé que «Taliesin est tout, et il est une juste déduction que parmi les Celtes, comme en Inde et en d’autres terres, a existé tout au long une croyance dans la réincarnation individuelle, une doctrine pronant qu’il y a essentiellement un seul transmigrant». En  d’autres termes, Taliesin, par le contact avec l’Awen, découvre son  identité avec le Divin, devenant, de ce fait, un Dieu suprême,  très sage et omniprésent. Il y a des parallèles clairs ici avec des traditions spirituelles Hindoues, où un des moyens d’atteindre l’illumination est de fusionner son identité avec celle d’une déité choisie.

Dans l’Hindouisme, une Déesse-esprit présente beaucoup de parallèles avec l’Awen. Dans son aspect universel, cet esprit s’appelle Shakti, et est présentée comme une déesse qui est l’esprit actif et créatif de la Divinité, dirigé par Shiva, la sagesse de Dieu. La puissance de Shakti se manifeste dans pratiquement toutes les autres déesses, y compris l’impressionnante Kali, avec son chapelet de crânes humains, et la belle déesse de la rivière, Sarasvati,  patronne de la musique et de l’étude. Dans la tradition Tantrique les femmes s’identifient avec Shakti, les hommes avec Shiva, et l’accomplissement spirituel final doit être trouvé dans l’union  des deux. Cette doctrine a été formulée durant les siècles qui ont vu la composition des poèmes de Taliesin.

Dans la tradition Bardique, des femmes peuvent devenir, individuellement, des incarnations de l’Awen, ou la Déesse comme Muse. Dans le Dialogue entre Myrddin et Gwendydd, le barde et sa muse s’y réfèrent en  termes révérenciels:

 » je demande de mon Llallogan,
Myrddin, homme sage, devin,
Une chanson de dispense, et de moi,
La jeune fille qui te l’offre, une chanson d’été. »
Je parlerai à Gwendydd,
Puisqu’elle s’est adressée à moi dans mon endroit caché.
Avec leurs secrets dans la premiere des langues,
Les livres qui racontent les invocations de l’Awen,
Et le conte d’une jeune fille, et le sommeil des rêves.
Je réaffirme les manifestations de ton créateur,
Le chef de toutes les créatures,
Blonde Gwendydd, refuge de chanson. »

Les poésies citées ci-dessus suggèrent que les bardes  aient cherché à s’identifier avec le Divin, et certains ont pu avoir fait ainsi en s’identifiant avec Taliesin en tant qu’archétype du barde inspiré par l’Awen. Son rôle par rapport à Cerridwen semble  indiquer que Taliesin devrait également être considéré comme un dieu païen, ou au moins, comme semi-divin. Cerridwen elle-même est vue en tant que dispensatrice de l’Awen, l’énergie créatrice divine, et, en conséquence, comme initiatrice et muse. Son rôle fait écho à celui de beaucoup de femmes de la mythologie celtique qui provoquent,  conduisent, ou inspirent les actions entreprises par les héros  masculins, et qui souvent également élèvent, éduquent et enseignent. Les hommes, dans les légendes, cherchent fréquemment la  puissance et la Connaissance, qui sont souvent incarnées par, ou sous la directive des femmes. Les bardes féminins auraient vraisemblablement cherché à s’identifier avec la Déesse, soit directement, soit peut-être par une dévotion à Taliesin, tout comme beaucoup de femmes hindoues pourrait approcher la Déité par une dévotion à Shiva, peut-être dans son incarnation en tant qu’amoureux divin,  Krishna. De telles quêtes pour la réalisation de l’individu en tant qu’Un avec le divin se comprennent par l’affirmation dans le texte  irlandais médiéval, MOR de Senchus qui dit:

« Les druides… disent que ce sont eux qui ont fait le ciel et la terre, et la mer, etc., et le soleil et la lune, etc.. »

Un tel niveau d’identification personnelle avec la Divinité ne fait pas partie de la tradition chrétienne traditionnelle en Occident, bien que l’église orthodoxe orientale ait toujours embrassé le concept de la théosis, ou divinisation de l’individu. Durant le siècle où le livre de Taliesin a été écrit, il y avait un monastère au Mont Athos en Grèce du Nord, où les moines ont employé des moyens  physiques, y compris le contrôle du souffle, afin d’atteindre des états  de conscience plus élevés, aboutissant à une vision de la Lumière Divine, et à l’union totale de l’individu avec Dieu.  Des idées similaires étaient courantes en Occident à travers les enseignements des  mystiques tels que Bernard de Clairvaux (1115-1153), qui a enseigné que le résumé de la vie mystique repose dans la conscience du  divin au-dedans de soi.

Cet aspect de la tradition bardique ne peut, alors, être considéré  comme complètement hérétique à la fin du 13ème siècle. Ce qui reste problématique est de savoir comment les bardes de cette période, en Grande-Bretagne christianisée, pourraient avoir concilié une vénération apparente pour la déesse païenne Cerridwen, avec leur foi professée en  Christ. On a suggéré que les références bardiques de Cerridwen ne démontrent pas plus qu’un simple intérêt pour leurs anciennes traditions. Toutefois, il apparaît indéniable que les références sont si étranges, et tellement en rapport avec le concept occulte et  mystique de l’Awen, qu’elles ne peuvent que représenter une véritable survie du paganisme originel, ou plutôt, une synthèse semi-païenne remarquable, basée en partie sur le passé celtique, mais fusionnée avec des idées spirituelles qui étaient courantes dans d’autres traditions au cours de cette période.

La Déesse Bardique

L’équivalent le plus proche de l’Awen dans la tradition bardique d’Irlande est Dan, ou Dana, un terme qui a un certain nombre de significations apparentées, y compris un «cadeau, un trésor, un don spirituel ou une offrande», «l’art, la science, l’appel intérieur», «l’art de la poésie», «poème» ou «chanson». En Irlande, le terme Aos Dana (littéralement; les «gens de l’art») désigne quiconque pratique les arts bardiques. Le mot peut également être lié à Danu, Dana, ou Anu, la Déesse-Mère éponyme du panthéon païen d’Irlande; au Tuatha de Danaan, ou «tribu de Dana». Un texte antérieur décrit la poésie (c.-à-d. Dana) comme « multi-formé, à  facettes multiples, multi-magique, une noble demoiselle »  qui apparaît aux bardes pendant le processus de composition. Cependant, la déesse la plus associée à l’ordre des Bardes en Irlande est Brighid, dont le nom signifie «Demoiselle», ou «la femme juste», bien qu’il puisse également être interprété comme «la puissance du destin». Selon un manuscrit irlandais du 9ème siècle, le Glossaire de Cormac,  Brighid était la déesse du filidecht, c’est-à-dire du Bardisme, de la guérison et de la forge. La même source se rapporte à elle comme :

«une déesse adorée par les poètes à cause de la grande et illustre protection qu’elle leur octroie.»

Avec la venue du christianisme, la déesse païenne irlandaise a été remplacée par une sainte portant le même nom et qui a empruntée plusieurs de ses attributs. Cela apparait clairement dans les épithètes rattachées au nom de la sainte dans la tradition folklorique écossaise, qui incluent «Brighid à la bouche mélodieuse», «Brighid de la Prophétie», «de la harpe», «du petit peuple de Fées» et de «la tribu des manteaux verts» (c.-à-d. du peuple des fées).  Cette déesse canonisée est également liée avec le feu magique, avec l’accouchement, avec un mystérieux serpent blanc, et avec la boisson qui enivre. Le jour de sa célébration début février marque les premiers frémissements du printemps, quand on dit que le «Serpent de la Jeune Epouse» émerge de son trou, où il a apparemment passé l’hiver, suggérant qu’il représente la puissance de la Déesse qui croît dans la Nature.

La puissance de Shakti, que nous avons comparée à l’Awen, est  identifiée dans sa forme microcosmique, avec la déesse Kundalini,  dont l’énergie du serpent dort lové dans le plus bas des centres subtils du corps, jusqu’à ce qu’il soit réveillé par la pratique du yoga de la Kundalini.  On a longtemps utilisé les termes de «vipère» ou de «serpent» pour désigner les Druides, et dans la poésie de Taliesin, Le cattle-fold des bardes, le poète se désigne à la fois comme druide et serpent:

 » je suis chanson jusqu’au bout; Je suis clair et radieux;
Je suis rude; Je suis un druide;
Je suis un ouvrage; Je suis bien façonné;
Je suis un serpent; Je suis une vénération, celle qui est un réceptacle ouvert. »

Nous avons vu que l’un des attributs primaires de l’équivalent britannique de Brighid, Cerridwen, est son Chaudron de l’inspiration. Dans le mythe irlandais, la principale déité associée à un semblable chaudron magique est le père de Brighid, le Dagda (qui signifie «Dieu bon»), appelé dans un texte le «Dieu du Druidisme».

Qu’avons-nous finalement appris sur l’Awen? Nous savons que c’est un esprit fluide, un genre d’essence de vie, une source de force spirituelle, une perspicacité prophétique et une inspiration poétique liées aux déités appelés Cerridwen et Taliesin en Grande-Bretagne, et  Brighid et le Dagda en Irlande, chacun d’eux étant associés aux chaudrons magiques et aux boissons enivrantes. Il est  tout à fait probable que différents groupes tribaux aient eu leurs propres déités liées à l’«esprit flottant». Meadhbh et Dana ont déjà été  mentionnés, et il ne semble pas déraisonnable de suggérer que nos ancêtres Druides aient considéré tous les déités comme des  sources de l’Awen, ou bien menant à celui-ci. Nous avons vu que l’Awen peut se  manifester dans des formes variées telles qu’un liquide, un  faucon, une femme, ou le goût du miel sur les lèvres. Nous savons  également qu’on peut le recevoir en buvant du chaudron  de la Déesse, par le chant ou la psalmodie, par un état de transe contrôlé, par la recherche de vision ou par la privation sensorielle. Les groupes druidiques modernes utilisent également différentes formes de méditations, de visualisations et de rituels.

L’Awen a des contreparties dans d’autres cultures. Nous avons déjà  mentionné la Shakti hindoue, appelée la Grande Mère de l’univers, et l’esprit saint chrétien, que le premier auteur gnostique,  Irenaeus, a appelé la Femme Primordiale, ou la Mère de Toute Vie. Tous les deux sont considérés comme l’énergie par laquelle la Divinité crée l’univers, et comme étant lié avec la guérison et la prophétie; dons qui sont également associés à l’Awen. Dans son étude comparative des religions, Mircea Eliade dit ceci :

« Les Sioux appellent cette force Wakan; elle existe partout dans l’univers, mais se manifeste seulement dans des phénomènes  extraordinaires tels que le soleil, la lune, le tonnerre, le vent,  etc…; et dans des fortes personnalités: sorciers, figures mythiques ou légendaires, etc… »

Le terme mélanésien, Mana, a été employé comme terme universel pour qualifier de telles forces spirituelles.

Les personnes et les choses ne sont pas dotées de cette force spirituelle de manière égale; certains la possèdent très fortement, et deviennent donc, des sujets de puissance et de vénération, alors que d’autres semblent en manquer presque entièrement. Il est possible pour certains individus d’accumuler cette énergie en eux-mêmes, et de la transmettre à d’autres personnes ou dans des objets, à des fins de guérison ou d’inspiration.

Conclusion

Les manières dont nous avons envisagé l’Awen jusqu’ici l’ont  peut-être fait sembler occulte et mystérieux, et il l’est. Pourtant son énergie inspirante est tout autour de nous, et nous pouvons apprendre à sentir sa présence et à nous ouvrir à ses cadeaux. Cette énergie peut être expérimentée dans la sensation de se tenir au sommet d’une colline balayée par les vents, de marcher dans la forêt une nuit de pleine lune, ou en bord de mer; en étant dehors pendant un orage ou en pratiquant des cérémonies sur des sites sacrés antiques, où elle s’accumule comme l’eau coulant dans une cavité. Elle est ressentie comme c

Cet article a été publié le Samedi 29 août 2009 à 4 h 24 min et est classé dans Non classé. Vous pouvez suivre les commentaires sur cet article en vous abonnant au flux RSS 2.0 des commentaires. Les commentaires et les pings sont actuellement fermés.

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